La violence à Ceuta
Les perceptions et les préjugés envers les migrants contribuent à encore plus de barrières qui empêchent leur bon accueil. Le deuxième objet est une image des outils utilisés par des migrants africains pour une entrée forcée à Ceuta, à la frontière entre l'Espagne et le Maroc, en 2018. Les migrants étaient entrés dans le territoire espagnol, attaquant des officiers de la garde civile espagnole dans leurs tentatives de franchir la barrière. Leurs actes soulèvent la question : qu’est-ce qu’ils fuyaient dans leurs pays d’origines et quelles violences ont-ils vécues avant ? La politique typique de l'Espagne vis-à-vis des migrants et des réfugiés est assez ouverte comparée à celle des autres nations européennes, ce qui provoque des reproches des chefs anglais et français, par exemple, qui n’aiment pas que les migrants viennent au nord pour prendre les postes (Arostegui). Mais, après ces actions, les autorités espagnoles ont expulsé 166 africains subsahariens. La justification de la ministre de l’intérieure espagnole, Fernando Grande-Marlaska, était : "Humanitarianism is not permissiveness. [...] Orderly, secure and legal immigration is possible, but not violent migration that threatens our country and its security forces" (Arostegui). Selon l’article de VOA News, c’est vrai que les migrants étaient violents. Pourtant, si on analyse les outils dans la photo, une chaussure, une pince et un marteau, on peut imaginer que leurs actions étaient des tentatives désespérées d’accéder à l’autre côté de la barrière, motivées par leur manque de choix. Aussi, le discours partial autour des migrants est significatif parce qu’il contribue à des perceptions négatives. Qui peut franchir les barrières physiques et culturelles pour entrer facilement en Espagne, ou en Europe en général ? Qui a l’argent, les documents ou le passeport pour bouger sans problèmes ? Qui peut obtenir une visa? Ces questions sont liées au thème de la dépossession. Les migrants africains dans cette situation ont utilisé les chaussures de leurs pieds pour accéder au territoire espagnol. Sans d’autres moyens, sans d’autres ressources, dépossédés aux niveaux physique et psychologique, ils tournent vers la violence.
On peut mieux comprendre cet événement, où un pays européen a expulsé beaucoup de migrants africains, en incorporant quelques œuvres théoriques, telles que Droit de cité d’Étienne Balibar et Les migrants et nous de Michel Agier, ainsi que le film Welcome (2009) de Philippe Lioret. Dans chacune de ces œuvres, il existe des barrières physiques et sociales à l’inclusion et à la paix. Étienne Balibar décrit les hiérarchies sociales qu’on construit, dans lesquelles on voit clairement “la division des ‘sur-hommes’ et des ‘sous-hommes’ (voire des ‘hommes-jetables’)” (Balibar, p. 15). Les hommes et les femmes-jetables sont les migrants qui viennent en Europe pour travailler. Le pays les exploite avant de les expulser et leur tourner le dos. Dans les photos de l’article, on voit les dynamiques de pouvoir inégales entre les officiers et les migrants, ceux qui risquent la vie, leurs corps, presque tout, pour accéder à un nouveau pays. Michel Agier discute le fait qu’il y a une tendance à supposer un rapport de “eux et nous” vis-à-vis des migrants (Agier, p. 12). Agier nomme ceux qui sont perçus comme “l’autre,” ceux qui doivent traverser la terre et la mer pour arriver à un port d’entrée, des hommes et des femmes-frontières (p. 27, 33). Sur la frontière, entre un espace et l’autre, ces êtres vivent une expérience de désidentification où ils perdent des aspects de leurs identités. Ils sont traités comme des membres d’un groupe au lieu des êtres individuels, ils sont classés comme “illégaux” et mis dans des situations instables (p. 33-35). Dans le film Welcome, on voit l’expérience d’un jeune migrant qui vit en France pendant quelques mois, pendant lesquels il apprend à nager pour qu’il puisse traverser la Manche et retrouver sa petite fille. Le titre du film est ironique parce que, à part de Simon et de quelques autres personnages spécifiques, les membres de la communauté se méfient de Bilal et de ses amis. À la fin du film, Bilal meurt en mer pendant sa tentative. Cette tragédie met l’accent sur les situations extrêmes et dangereuses que les migrants doivent vivre quand il n’y existe pas d’autres moyens. Le contraste entre les difficultés de Bilal et la facilité du voyage de Simon en Angleterre à la fin est saisissant et il soulève la question centrale encore une fois : qui a la liberté de migrer sans obstacles ?