La musique de la manif: "Racailles" de Kery James
En 2005, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a référé aux habitants de la banlieue parisienne comme des « racailles », une insulte interprétée par ses cibles comme une indication de la supériorité perçue de la classe bourgeoise sur eux. En réaction, le rappeur Kery James a écrit « Racailles », une chanson dans laquelle il illumine la colère contre les systèmes d’exclusion qui nourrissent l’écart social entre les banlieusards et les gens du centre—ce qui se manifeste dans les mots hostiles de Sarkozy. Dans ses paroles, il évoque le statut liminal d’être à la fois hors de la société et essentiel économiquement à sa fonction : « On travaille plus mais on gagne moins/On attend juste le printemps européen/On cotise pour des retraites qu'on ne verra peut-être jamais/Tout l'argent qu'on fait rentrer vous nous le reprenez/Racailles !/Chaque fin de mois à découvert/On a l'impression d'être esclave du système bancaire. » Sa description de l’ouvrier urbain qui travaille pour un système qui le rejette rappelle le métèque de Michel Agier, un migrant qui vit entre l’inclusion et l’exclusion sociale, « économiquement utile… [mais] socialement indésirable. » (Les migrants et nous, 34). La relation entre le système financier et les banlieusards qui le font vivre est caractérisé ainsi par l’extraction, une domination de nature coloniale qui rappelle l’exploitation corporelle de Momo dans son cauchemar de cannibalisme dans Cannibales de Mahi Binebine (115-125). Ces paroles font un lien, alors, entre l’exploitation coloniale, la politique du corps chez Binebine, et la marginalisation des habitants de la banlieue, tout en qualifiant le capitalisme moderne comme un nouveau forme de l’esclavage.
En cela, on trouve aussi une distinction raciale, culturelle, et identitaire dans l’utilisation des mots comme « racailles ». James dit aussi : « Payer pour propager sa haine/Semer des graines récoltées par le FN/Pour vous même Marine Le Pen est devenue fréquentable/Quiconque combat l'Islam peut s'asseoir à votre table/Racailles !/Incapables de gouverner vous divisez/Racailles !/Incapables de rassembler vous stigmatisez/Racailles !/Aveuglés par le pouvoir vos cœurs sont voilés/Beaucoup plus que le visage de cette femme voilée. » En évoquant la politique identitaire et xénophobie du Front National, James touche à la conception des « identités meurtrières » d’Amin Maalouf. La crainte de l’autre, conçu comme une menace à sa propre identité—une altérité soulevée par l’exclusion sociale—mène des gens à s’ancrer dans leurs préconceptions fixes d’eux-mêmes, rejetant l’autre dans une hostilité cyclique (Les Identités meurtrières, 39). Aussi de l’intérêt et la manière dont James évoque la femme voilée, un emblème de « l’archaïsme » (151) dont écrit Maalouf qui est né face à la modernisation occidentalisée transformé en défi symbolique contre les préconceptions des communautés musulmanes tenues par l’extrême-droite.