La géographie civile : deux cartes de la région parisienne
Voici deux cartes de Paris et ces environs qui sont révélatrices des écarts entre le centre et le périphérie de la banlieue, évoquant l’idée de l’exclusion sociale. A gauche, une carte qui montre la concentration des préfectures de police dans la région parisienne, dans laquelle les communes les plus sombres vivent une présence policière plus forte. A droite, une carte simplifiée des plus grandes banlieues superposée par le réseau de métro et de RER qui sert la ville de Paris. On note la manière dont la banlieue—et la communauté de Saint-Denis, la banlieue avec la plus grande population de migrants, en particulier—sont beaucoup plus surveillées que les arrondissements du centre-ville. Cette réalité construit une relation dominatrice entre les communautés banlieusardes et le gouvernement local qui—déjà méfiant des habitants, comme indiqué par les paroles de Sarkozy—utilise la présence policière comme un moyen de contrôle quasiment colonial. A la fois, la carte du réseau de métro montre la manière dont les banlieues sont connectées par train avec le centre-ville, mais presque jamais entre elles-mêmes. Encore une relation hiérarchisée entre le centre et le périphérie ; la banlieue devient dépendent du centre sur le niveau de transport, mais est isolée d’elle-même par la manque de liens.
Cette isolation transforme à la fois la banlieue et le centre parisien en îles, un concept qu’évoque Maylis de Kerangal dans à ce stade de la nuit. Dans sa conception, l’île « [héberge] les évadés, les meurtrières… et tous ceux que la société renvoie à la mer » (57) : autrement dit, la « racaille ». Non seulement rappelant les migrants morts en mer pendant la traversée, cet extrait qualifie la société (le centre parisien) comme un espace inaccessible, avec les migrants partout mais toujours aux bords. Retournés en mer—ou à leur propres îles désertes—ils subissent l’exclusion et la rejection d’un marin abandonné.
La caractérisation de la banlieue comme une île marginalisée rappelle le concept de « l’archipel d’exclusion sociale » dont écrit Léopold Lambert : la banlieue vit en tension avec le centre dans un état paradoxale de surveillance et d’isolement, intégrée avec la société urbaine à un point, mais tenue à un distance par la méfiance qui s’exprime dans la présence policière élevée et l’empêchement de l’interconnexion des communautés périphériques. Dans cette manière, les habitants de la banlieue ne font pas totalement partie de la société centrale qui les domine, mais leurs expériences vécues de cette relation dominatrice sont infiltrées au jour le jour par sa force judiciaire. La banlieue en tant que territoire est ainsi maîtrisée par le centre, ses communautés sécurisées et sa liberté de mouvement limitée. Ces deux forces se manifestent dans leur forme le plus sinistre dans l’extrait d’Annie Ernaux qui réfère au « cordon sanitaire » qui sépare la banlieue du centre-ville. Dans cette instance, la domination et l’isolement jouent ensemble pour empêcher totalement le mouvement libre, créant des limites du Paris centre des vraies frontières impénétrables, comme celles qui se servent comme obstacles à la traversée migratoire.