Migrations et traumatismes

7-jours-sur-la-planete-Saglio-Yatzimirsky-680x380.png

Marie-Caroline Saglio-Yatzimrsky, "La voix de ceux qui crient" 

Les migrants peuvent tout d’abord souffrir de véritables traumatismes psychologiques à leur arrivée dans le pays d’accueil. La psychologue Marie-Caroline Saglio-Yatzimrsky, qui prend en charge des migrants souffrant de tels troubles, aborde ce sujet dans son ouvrage La voix de ceux qui crient (2018). 

 

Comme elle l’explique, les traumatismes s’apparentent à de violents chocs émotionnels qui ébranlent de manière durable la vie de ses patients : ‘Ils n’ont plus les moyens psychiques de faire face’.  Ces troubles trouvent bien souvent leur origine dans un épisode de violence psychologique ou physique intentionnelle, subi dans le pays d’accueil ou au cours du voyage migratoire. La psychologue évoque, entre autres, le viol, la torture, les mutilations ou la mort de proches.  Ces scènes de violence sont au cœur de plusieurs œuvres étudiées au cours du semestre. Nawal Marwan, personnage central du film Incendies (2010) de Denis Villeneuve, assiste au meurtre du père de son enfant, subit la torture et le viol, avant de quitter le Liban pour le Canada. Ces épisodes traumatiques sont également évoqués à la fin du reportage illustrée Bienvenue à Calais. Les raisons de la colère (Marie-Françoise Colombani et Damien Roudeau, 2016), dans la section « Eclats de vie », qui relate les différentes expériences vécues par les habitants de la jungle : « ce jeune Erythréen a vu son frère tomber du bateau dans la Méditerranée. Il se souvient de ses bras sortant de l’eau, puis disparaître ». La description faite de la jungle de Calais dans cet ouvrage rappelle que les épisodes traumatiques peuvent également se produire en Europe : « seule règne la loi de la jungle : racket, prostitution, violence, drogues, viols. ».

 

Marie-Caroline Saglio-Yatzimrsky évoque différents symptômes, dont les cauchemars, les reviviscences du passé, les troubles de la mémoire, la dissociation de la réalité ou encore l’impossibilité de dormir et ‘de mettre des mots’ sur leur expérience. Le motif du cauchemar est récurrent dans Cannibales de Mahi Binebine (« il y avait justement un rêve qui hantait son sommeil », p. 33, « Ce rêve, non ce cauchemar, n’était pas de bon augure », p. 125 »).  De la même manière, Amadéo , personnage central de Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio (Amara Lakhous, 2013), est hanté par son passé en Algérie, qui se rappelle à lui au travers de cauchemars « L’hôte des ténèbres vient de me réveiller, le même cauchemar qui revient de temps en temps », p. 132). Ces migrants victimes de traumatismes psychologiques semblent avoir pour point commun d’avoir « perdu le fil de leur histoire », selon les mots de la psychologue. Leur identité est profondément bouleversée par ce qu’ils ont vécu et il n’est pas rare qu’ils refoulent de manière brutale leur passé, à l’image d’Amadéo (Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio), qui se reconstruit une nouvelle vie en Italie, ou de Nawal Marwan (Incendies), qui après avoir fait une croix sur son passé reprend brutalement le fil de son histoire à la vue de son premier fils à la piscine. 

 

L’auteur de La voix de ceux qui crient appelle à une nouvelle politique d’accueil des migrants, qui ne se limiterait pas à des considérations matérielles (papiers, logement, nourritures) mais prendrait également en charge leur santé mentale. Le traitement politique et médiatique actuel des migrants tend en effet à considérer les migrants comme une masse informe et déshumanisée. Marie-Caroline Saglio-Yatzimrsky prend l’exemple des entretiens effectués par l’OFPRA avec les demandeurs d’asile en France pour mettre en lumière les faiblesses de la politique d’accueil actuelle et la nécessite de prendre en charge psychologiquement les migrants qui en ont besoin.  Au cours de ces entretiens très formels, l’OFPRA demande aux candidats à l’asile de fournir un récit précis et cohérent de leur histoire, « ce sur quoi [le migrant victime d’un trauma] ne veut précisément pas, ou ne peut pas psychiquement revenir ». Ce paradoxe amène bien souvent la personne interrogée à fournir un récit incohérent, du fait de trous de mémoire, symptômes caractéristiques du trauma, ou à simplement taire des évènements face à la difficulté de se livrer à un inconnu d’une autre culture dans un cadre impersonnel. La psychologue appelle donc l’OFPRA à « prendre en compte cet élément du psycho-trauma » dans la poursuite de sa mission.

Migrations et traumatismes