Migrations et déracinements

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Zineb Sedira, MiddleSea (extrait)

Les troubles psychologiques dont souffrent les migrants ne se limitent pas à des traumatismes contractés au cours de leur voyage migratoire. En effet, le départ de leurs pays d’origine et l’adaptation pays d’accueil se révèle bien souvent être une épreuve difficile pour les harragas, quand bien même leur migration aurait été volontaire et se serait déroulée sans encombre.

Désormais confrontés à une nouvelle culture, les migrants développent de nouvelles formes d’appartenances, qu’ils sont pourtant dans l’incapacité d’unir de manière harmonieuse avec leurs précédentes appartenances développées dans leurs pays d’origine. Dans son ouvrages Les Identités meurtrières (1998), l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf explique que l’identité des individus se voit aujourd’hui réduite à une seule et unique appartenance, du fait de la conception très répandue selon laquelle « il y aurait au fond de chacun une seule appartenance qui compte, une vérité profonde, [...] déterminée à la naissance et qui ne une changera plus. »Cette conception de l’identité est source de tiraillement pour le migrant, qui est forcé de choisir entre ses deux pays et ses différentes appartenances.

Il est ainsi particulièrement difficile pour le migrant de s’intégrer pleinement dans son pays d’accueil.

C’est ce malaise identitaire propre au migrant que met en lumière l’artiste algérienne Zineb Sedira dans sa vidéo Middle Sea (2008).

On y voit un homme errer dans un ferry reliant les villes d’Alger et de Marseille. Il apparait impassible, comme plongé dans ses pensées. A plusieurs reprises, il s’adosse à la rambarde sur le pont du bateau et contemple l’horizon pendant plusieurs secondes avant de reprendre ses allers et venues.

Le choix de tourner la vidéo sur un bateau au milieu de la mer est fortement symbolique. L’embarcation est en effet entre deux pays, deux mondes, à l’image des migrants, condamnés à un perpétuel entre- deux entre leurs pays d’origine et d’accueil.  Seul, sur un bateau au milieu de la mer, l’homme de la vidéo apparait totalement déraciné. On retrouve cette même symbolique du bateau dans le documentaire La Traversée d’Elisabeth Leuvey (2013). Durant vingt voyages entre Marseille et Alger, effectués sur le même ferry que filme Zineb Sedira dans Middle Sea, la réalisatrice de La traversée filme et interroge des passagers tentant d’unir, aussi bien géographiquement que spirituellement, leurs appartenances française et algérienne. 

Cette vidéo filmée entre les frontières française et algérienne évoque également le concept d’homme-frontière conceptualisé par Michel Agier, qui désigne « des personnes ne pouvant passer entièrement la frontière, et trouver une place, un statut, une reconnaissance, une pleine citoyenneté  dans le lieu de destination » (Les Migrants et nous, 2016).

Les allers retours de l’homme filmé par Zineb Sedira semble évoquer les va-et-vient incessants que doivent effectuer quotidiennement les migrants entre leurs différentes appartenances. Cette recherche d’équilibre perpétuelle est évoquée par le personnage de Ben dans le documentaire La Traversée. Il compare ses voyages en Algérie à « des visites à une vieille tante malade chez qui tu passes le week-end, et le dimanche soir tu te barres car sinon tu te suicides. Mais quand tu retournes chez toi, [en France], tu as honte d’avoir quitté ta tante et programme une nouvelle visite. C’est une indécision permanente. ».

Une impression de mystère se dégage de la vidéo. On ne se sait rien de l’homme, de ce à quoi il pense ou de sa vie. De la même manière, il est difficile de saisir la direction du ferry, de savoir si celui-ci se dirige vers Marseille ou Alger. Le temps et l’espace paraissent suspendus. Ce choix de l’intemporalité et de l‘impersonnalité permettent peut-être à Zineb Sedira de traduire l’idée selon laquelle ce malaise identitaire et sentiment de déracinement est susceptible de toucher l’ensemble des immigrés, quelle que soit leur histoire ou origine. Il est par ailleurs intéressant de noter que l’acteur qui joue l’homme film Harragas (2009) de Merzak Allouache.

On retrouve cette difficulté à combiner harmonieusement différentes appartenances chez plusieurs personnages de migrants dans les œuvres que nous avons étudiées ce semestre. Les personnages d’Amadeo et de Maria Cristina Gonzalez dans le roman Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio (2006) de Amara Lakhous, incarnent deux extrêmes. Amadeo, Ahmed de son vrai prénom, est un immigré algérien qui tente d’oublier la mort de sa fiancée en recommençant une nouvelle vie en Italie, changeant de nom, cachant son passé et laissant croire à son entourage qu’il est Italien. A l’inverse, Maria Cristina Gonzalez refuse de s’adapter à son pays d’accueil. Prise de nostalgie pour sa vie au Chili,  ele sombre dans l’immobilisme.

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