L’Humanisation à partir des idées des victimes impuissantes : La photographe de l’enfant syrien, Aylan Kurdi

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Nilüfer Demir, 2015

Cette photo d'Aylan Kurdi, un enfant syrien retrouvé mort sur une plage en Turquie, illustre le premier genre de représentation « humanitaire » des réfugiés et des migrants : comme des victimes impuissantes dépourvues de pouvoir personnel. L'image est saisissante et attire immédiatement l'émotion de son spectateur. Le corps mou et sans défense de l’enfant est un spectacle horrifiant, mais également familier — celui d’un enfant innocent endormi. Avec un environnement différent, l’enfant ne serait pas différent de n'importe quel enfant dormant dans son lit et la société occidentale ne l'ignorait pas. Cette photo a fait le tour du monde en 2015, et il y avait des réactions fortes des citoyens, des artistes et des dirigeants mondiaux. Les gens ont vu leurs propres enfants dans cette image, avec la pensée que son enfant pourrait être cet enfant. Pourtant, quel est le résultat de susciter cette pensée — est-ce réellement productif ou sert-il à exploiter le véritable enfant de l'image, Aylan Kurdi, et à rendre sensationnel la violence structurelle qui a conduit à cette scène?

Ce n’est pas la seule image d’un réfugié ou d’un migrant qui a attiré l’attention et la sympathie du monde, mais le sujet particulier d’un enfant est particulièrement provocateur, car les enfants sont les plus vulnérables de la société et naturellement les plus impuissants dans les conflits. Si le but d’un photojournaliste est de générer de l’empathie et de témoigner des abus des droits de l’homme, les enfants sont donc un sujet utile pour ouvrir les yeux de la société publique au mal. En fait, la photographe turque, Nilüfer Demir, a déclaré à CNN que « C’est la seule façon dans laquelle je peux exprimer le cri de son corps silencieux » (Griggs, 2015). Michel Agier fait référence à ce type d'idées dans Les migrants et nous, lorsqu'il parle de « la cause humanitaire » qui « suppose que l'autre souffre … comme une victime … un humain figé et sans voix » avec « ‘moi’ comme dominant à distance » (Agier, p. 15). Le but de ces images est censé être de provoquer l'altruisme, mais si elles reproduisent ces idées de victimisation impuissante et silencieuse, elles peuvent finir par atteindre le but opposé où elles déshumanisent leurs sujets. Il existe une asymétrie de pouvoir inhérente entre le consommateur et le sujet, et le don d’un récit à un corps silencieux peut créer une sorte d '« impérialisme discursif » (Durham, 2018). Comme le note Agier, on suppose que « l'autre » est silencieux, absent et distant (Agier, p. 15).

Cette photographie joue sur ces idées, mais l'identification qu'elle a provoquée pour beaucoup de gens a également créée une proximité unique entre le consommateur et le sujet. Cette dualité de proximité et de distance a été décrite dans Fuocoammare, un documentaire de Gianfranco Rosi (2016) qui suit le voyage dramatique des migrants face à la vie quotidienne des habitants sur la petite île italienne de Lampedusa. Bien que leurs histoires se déroulent côte à côte, elles se touchent à peine et leurs différences sont soulignées. Tandis que Samuele, le jeune garçon du film, joue avec son ami et fait ses devoirs, les corps des migrants sont tirés d'un bateau juste à l'extérieur. Cette juxtaposition est importante, mais risque également de réduire l’humanité des migrants dont les histoires individuelles sont beaucoup moins détaillées que celle de Samuele. Comme le montre le film Ali Zaoua de Nabil Ayouch (2000) avec son méta-commentaire dans les premières et dernières scènes, avec le journaliste européen et le cadre de la caméra autour des enfants marocains, ce cadre d’une caméra n'est pas aussi objective qu'on pourrait souhaiter croire, et il ne peut jamais capturer toute la nuance et la profondeur de la vie humaine. Cependant, il convient également de noter que si l'objectif est de recueillir le soutien public, des images telles que la photographie d'Aylan Kurdi ont parfois réussi — les dons pour aider les réfugiés ont augmenté en réponse à cette image, et certains dirigeants mondiaux ont dit qu’ils accueilleraient plus de réfugiés (Durham, 2018). L’empathie par l’image est un outil puissant, mais elle doit être utilisée d’une manière éthique et responsable, en prenant soin d’affirmer l’humanité et les voix des sujets de ces photographies et de ces histoires.

 

Durham, M. G. (2018). Resignifying Alan Kurdi: news photographs, memes, and the ethics of embodied vulnerability. Critical Studies in Media Communication35(3), 240-258.

Griggs, B. (2015). Photographer describes “scream” of migrant boy’s “silent body.” CNN Online.

L’Humanisation à partir des idées des victimes impuissantes : La photographe de l’enfant syrien, Aylan Kurdi