Au-delà des frontières

Ces dernières années, cette réticence à relever le défi d'aider les migrants a rendu un voyage déjà difficile encore plus dangereux. En 2015, sur plus d'un million de migrants qui ont essayé d’entré en Europe en navire, 3 735 d'entre eux sont morts ou ont disparu.[1] Depuis juin 2018, le Libye a sa propre zone SAR en Méditerranée, ce qui la rend chargée de répondre aux appels de détresse dans cette zone.[2] Étant donné que tous les migrants interceptés sont renvoyés à Tripoli, cette stratégie a considérablement réduit le nombre de migrants atteignant l’Europe.[3] Parce que les garde-côtes libyens souvent ne répondent pas aux appels d'urgence des bateaux,[4] cette stratégie a également considérablement augmenté le nombre de migrants décédés en mer. En septembre 2018, le pourcentage de migrants décédés ou disparus au cours de leur voyage en Libye a atteint près de 20 pourcent.[5] Pour la première fois, des données ont montré que ces migrants sont morts ou ont disparu plus souvent qu’ils sont arrivés en Europe.

Le film Fuocoammare et le texte Bienvenue à Calais montrent les difficultés que les migrants doivent affronter après qu’ils sont sauvés de la mer et emmenés en Europe. L’auteur et l’illustrateur de Bienvenue à Calais en particulier discutent « une catastrophe humanitaire » juste à l'intérieur des frontières de la France : des tentes installés tardivement et en nombre insuffisant,[6] un mouvement raciste « de plus en plus activiste, »[7] et des traitements dit « inhumains ou dégradants. »[8] Cependant, la majorité des migrants à destination de l’Europe aujourd’hui n’y arrivent pas ; un grande nombre d'entre eux se retrouvent plutôt pris au piège en Libye, où ils sont victimes d'atteintes aux droits humains dans lesquelles un rapport d'Amnesty International indique que l'Union européenne est complice.[9] En 2017, environ 20 000 migrants étaient détenus en Libye ; d’ailleurs, NPR rapporte que les garde-côtes libyennes, qui sont devenues beaucoup plus puissantes depuis que les pays européens ont cherché à limiter leurs obligations vis-à-vis des migrants, travaillent souvent avec des gangs criminels et des milices trafiquant les réfugiés.[10] En août 2017, un journaliste de CNN a vu des dizaines de migrants se faire vendre en esclavage en quelques minutes – le vidéo de cette évènement se trouve à droit. Les jeunes et les migrants venant de l’Afrique subsaharienne courent le plus grand risque d'être maltraités et exploités pendant leur voyage,[11] une réalité qui est traitée par Mahi Binebine dans son texte Cannibales. Dans le livre, Momo a des cauchemars récurrents dans lesquels il est dévoré par M. José, le passeur. M. José « en redemandait chaque jour d’avantage »[12] jusqu’à ce que finalement rien ne reste de Momo sauf sa tête, que M. José « balança dehors de toutes ses forces. »[13] Ici, le cannibalisme est utilisé comme une métaphore de l'exploitation et de la maltraitance des migrants par des personnes en position de force – soit des passeurs, soit des employeurs sans scrupules ou d’autres personnages. Au fin, quand sa tentative de traversée échoue et qu'il se retrouve coincé du mauvais côté du détroit de Gibraltar, le narrateur dit : « Le monde continuait de tourner. Nul ne se souciait de nous…. Alors, en tout sincérité, se faire dévorer ici, ailleurs ou en plein mer, quelle importance ? »[14] Il y a un sentiment de désespoir qui accompagne la prise de conscience que lui-même, en tant que migrant, est invisible dans la société.



[1] Colombani et Roudeau. Bienvenue à Calais, 7.

[2] Poletti et Lafrance. « Migrants en méditerranée. »

[3] Poletti et Lafrance. « Migrants en méditerranée. »

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Colombani et Roudeau. Bienvenue à Calais, 3.

[7] Ibid 4.

[8] Ibid 7.

[9] Neuman, Scott. « Amnesty International: Europe Complicit In Libyan Migrant Abuses. » NPR. 12 décembre 2017. Accédé le 23 mars 2019. https://www.npr.org/sections/thetwo-way/2017/12/12/570087994/amnesty-international-europe-complicit-in-libyan-migrant-abuses.

[10] Neuman, « Amnesty International. »

[11] Abou Ez, Eléonore. « Méditerranée : Les Enfants Et Les Jeunes Migrants Victimes D'abus. » Franceinfo: Afrique. 14 septembre 2017. Accédé le 26 mars 2019. https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/mediterranee-les-enfants-et-les-jeunes-migrants-victimes-d-abus_3059041.html.

[12] Binebine, Mahi, Cannibales, (Éditions de l’Aube, 2005), 121.

[13] Binebine, Cannibales, 124.

[14] Binebine, Cannibales, 212.

Au-delà des frontières