Vicissitudes de Jason deCaires Taylor

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Cette exposition sous-marine de Jason deCaires Taylor montre la solidarité parmi les migrants, ou les refugiés ; une solidarité qui manque dans la société de Mohamed Bouazizi. Cependant la solidarité représentée par deCaires Taylor ici est dans une situation qui implique la mort en mer. Certes la sculpture est un acte d’honorer les gens courageux et marginalisés qui traversent la mer, une façon de symboliser le lien entre la solidarité et la survie ; dans un sens ils se resurgissent de la mort en sculptures vivantes (littéralement vivantes après la colonisation par les créatures marines! Voir https://www.underwatersculpture.com/). Pourtant après la mort, la solidarité ne compte plus dans la quête pour la justice, pour la communauté, pour la sécurité. Les personnages dans la sculpture sont des jeunes, ce qui implique la nécessité de la solidarité dans les générations à l’avenir.

Dans le livre Par le feu de Tahar Ben Jelloun, on voit la manque de solidarité dans une société du bled anonyme, vraiment en Tunisie où vivait Mohamed Bouazizi – un manque de solidarité qui persiste parmi les gens pauvres qui sont fait de la même étoffe. D’autre part, le film Harragas de Merzak Allouache montre le manque de solidarité parmi les migrants au début de leur trajet, une séparation logique étant donne qu’ils viennent des différents lieux et cultures et parlent les différentes langues. Cependant, à travers les tragédies vécues pendant la traversée, les misères dont les migrants éprouvent ensemble, toutes ces identités distinctes trouvent une sorte de solidarité dans la survie. Ce phénomène est décrit dans le récit de Cannibales de Mahi Binebine, expliqué avec cette philosophie intéressante : « Quand les misères se confrontent, elles finissent par s’atténuer, se neutraliser » (p. 83). Dans cette sculpture de deCaires Taylor, le cercle des « survivants » de la mort en mer représente les misères qui se confrontent et s’atténuent, se tenant la main dans la recherche de la solidarité, de la résistance.

La puissance de cette œuvre de deCaires Taylor à part de son originalité de forme est que son symbolisme invoque une réponse internationale. Dans une analyse de Vicissitudes, Davide Carozza écrit que « l’héritage de la tragédie est partagée et reste une force pertinente dans le monde aujourd’hui ». Soit par rapport au Passage du Milieu et l’esclavage, aux vies perdues dans la traversée de la Méditerranée, ou à n’importe quelles tragédies maritimes autour du monde, la sculpture rend hommage à tous les individus qui se perdent dans la mer, une voie pour la liberté ainsi que la destruction. Ces liens entre la territoire (ou « non-territoire » comme la mer) et l’identité sont importants dans l’analyse de la traversée de la mer, un tournant crucial dans la chaine des sacrifices qui appartient à la migration, les « ‘amputations’ successives par le vertige de cette liberté fraîchement acquise » (Mokeddem, p. 20). Dans La mer, l’autre désert, auteur Malika Mokeddem qui est nomade à l’origine fait des comparaisons percutantes entre le désert et la mer. Poussée à traverser la Méditerranée à cause des menaces de violence et de l’intolérance, elle découvre une « langue traversière, les mots sans frontières » parmi les « autres », les « affections tissées entre Sud et Nord…cultures métissées par le Nord et le Sud ». Pour eux, la « Méditerranée ne nous est plus qu’un immense cœur battant entre les deux rives de nos sensibilités » (p. 21). Cette belle métaphore capte le vaste univers émotionnel qui est la mer, le non-lieu qui sépare les deux zones Nord et Sud, les deux territoires qui gèrent l’identité des migrants, eux qui sont poussés de découvrir la langue traversière.

Pour un migrant comme Mokeddem, elle explique « mer et désert, je m’y perd ». Pour se retrouver, elle les fond et confond, mer et désert, un paradox « en une même image : la blessure lumineuse de ma liberté » (p. 21). Les personnages dans cette sculpture de Vicissitudes représentent les blessures, les sacrifices qui surgissent dans la recherche pour la liberté. L’image du cercle des jeunes perdus à la mer doit inspirer les vivants de chercher la solidarité et la communauté avec leurs propres territoires et identités pour un avenir durable en sécurité.

Vicissitudes de Jason deCaires Taylor