Hommage à Mohamed Bouazizi de Fabien Rafowicz

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Après la chanson d’Amadou & Marian, cette image de l’exposition de Fabien Rafowicz est un fort contraste. C’est chaud raconte l’histoire d’un migrant qui quitte son territoire, une histoire de mouvement et d’abandon. D’autre part, l’homme à qui ce sculpture rend hommage, Mohamed Bouazizi, est resté dans son état – son pays, son état physique, son boulot comme marchand ambulant – où il a succombé à la « chaleur » de sa société : l’insécurité, le chômage, l’oppression, l’injustice. Son acte de suicide, de se brûler, est très symbolique dans le contexte de la chanson d’Amadou & Mariam. En se mettant en feu, Mohamed devient un symbole vivant de la chaleur de l’insécurité. De plus, la chanson parle des sacrifices que font les gens dans une société en crise, quittant leurs villages. Bouazizi, cependant, n’a pas quitté la chaleur de chez soi, le lieu où il trouverait son destin autodestructif comme un martyr qui a poussé les premiers faits diverses du « printemps arabe ».

Dans l’exposition de Rafowicz, pendant que les roues du chariot de fruits impliquent le mouvement ou peut-être la liberté, juste à côté on trouve les cendres du corps brulé de Bouazizi. Le chariot qui reste « vivant » à côté des cendres du corps humain implique en effet la « chosification », le fait que l’argent et le marché a plus de valeur que la vie humaine. Dans le livre de Tahar Ben Jelloun, Par le feu, l’histoire vraie mais fictionalisée de Mohamed Bouazizi, on comprends que son boulot comme vendeur ambulant est à la fois une voie productive pour lui et sa famille ainsi qu’une sorte d’emprisonnement dans un cercle vicieux où les flics ne cessent de lui harceler ; son chariot a besoin de l’entretien ; il ne peut pas trouver sa place dans le marché, etc. Mohamed avait 26 ans quand il s’est mis à brûler en face de la mairie dans sa ville en Tunisie. Dans le livre, Ben Jelloun le décrit comme un « diplômé chômeur » pour illustrer le dysfonctionnement du système académique-professionnel et comment le diplôme n’est pas valorisé.

Plus globalement, ce récit montre les effets de la paupérisation et du manque de la dignité humaine parmi les membres d’une société.Le lieu d’action, le territoire, du récit n’est pas précisé pour universaliser cette histoire de la menace de l’individuation dans un système gangrené par injustice. Mohamed et sa famille pauvre subissent l’instrumentalisation politique et manipulatrice dans un régime paternaliste. Le dictateur paternaliste rend les gens marginalisés en opposition pour garder son pouvoir omniprésent. Cité dans le magazine Jeune Afrique, Mohamed déclare à sa sœur Leila « ici, le pauvre n’a pas le droit de vivre ».[1] Dans le récit par Ben Jelloun, Mohamed explique que même si « le flic est issu d’une famille aussi pauvre…les pauvres ne s’aiment pas entre eux… » (p. 21).

Est-ce que le manque de dignité humaine à cause de la paupérisation indique le manque de la solidarité, aussi ? Dans un acte de liberté autodestructive, Mohamed prend son destin dans ses propres mains pour « embraser le monde ». Il se brûle, non pas en tant qu’un « brûleur » comme dans les autres récits de migration, mais pour se battre contre les injustices, « la chaleur » dans sa société, un système hors la loi et hors la dignité humaine.



[1] Frida Dahmani, « Sidi Bouazizi », Jeune Afrique, no 2315,‎ 20 février 2011, p. 40-43

 

Hommage à Mohamed Bouazizi de Fabien Rafowicz