C’est chaud d’Amadou & Mariam
C’est chaud (2017) paroles
Amadou & Mariam
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Tu as quitté ton pays,
Tu as quitté ta ville,
Pour traverser les fleuves,
— Bambara (? Oh s’il est océan…) —
Est-ce qu’elle a des montagnes?
À la recherche d’une vie meilleure,
En Europe (voix des femme)
À la recherche du bonheur,
En Amérique (voix des femmes)
Chorus:
C’est chaud, C’est chaud
C’est chaud, c’est chaud partout
C’est dur __(Bambara?)__ C’est dur
C’est dur, c’est dur partout
Tu as quitté ton village,
Tu as quitté ta famille,
Dans le village (voix du groupe*)
Abandonné ta femme,
Dans le bled *
Et laissé tes enfants,
Dans le village *
Pour traverser les fleuves,
— Bambara (? Oh s’il est l’océan…) —
Est-ce qu’elle a des montagnes?
À la recherche d’une vie meilleure,
En Europe *voix des femmes*
À la recherche du bonheur,
En Amérique *voix des femmes*
(Chorus)
L’insécurité partout,
C’est chaud partout (groupe*)
La guerre partout,
C’est chaud partout *
La haine partout,
C’est chaud partout *
La xénophobie partout,
C’est chaud partout *
La crise partout,
C’est chaud partout *
Le chômage partout,
C’est chaud partout *
L’insécurité partout,
C’est chaud partout *
(Chorus).
Amadou & Mariam, Amadou Bagayogo et Mariam Doumbia, sont un couple de musiciens et chanteurs maliens, tous les deux non-voyants. Ils se sont rencontrés en 1975 à l’institut des jeunes aveugles de Bamako, se mariant en 1980 et commençant leur carrière musicale commune à la même époque.[1] Ils jouent un mélange efficace entre rock et musique malienne avec des paroles en français ainsi qu’en bambara, la principale langue régionale du Mali. Leurs paroles abordent les problèmes de l'époque à l'Afrique comme la crise migratoire et le chômage, pourtant ils ont un côté festif et dansant, contrairement à la réalité des problèmes. C’est chaud parle en particulier du phénomène de l’émigration d’un pays d’origine, comme le Mali, en Europe ou en Amérique « à la recherche d’une vie meilleure ; du bonheur ». Amadou chante les paroles, avec certaines phrases chantées par groupe, la parole largement une énonciation de deuxième personne. Il chante à un « tu » inconnu qui doit représenter un homme qui cherche à émigrer de son pays. La parole dit que quitter ton pays, c’est abandonner une partie de soi-même – soit ta famille, ta femme, tes origines, ou ton rapport avec la terre, ton village. Donc Amadou & Mariam crée un lien entre territoire et identité dans le sens que chercher une vie meilleure dans un territoire lointain est un sacrifice.
Le message principal de cette chanson est que c’est chaud et c’est dur partout. Partout dans le bled (l’Afrique du Nord) ou partout dans le monde ? Il y a de la haine, de la xénophobie, du chômage, de la guerre, de l’insécurité, partout. La répétition de partout dans le chansonveut accentuer comment ces crises sont globales. Je me demande si en mettant l’accent sur partout Amadou et Mariam veulent questionner les motivations de l’émigration…si c’est dur partout, pourquoi quitter ? L’album est intitulé « La Confusion » pour dénoter le désordre dans beaucoup de pays de l’Afrique ; un désordre qu’Amin Maalouf explique dans son propos Quand la modernité vient de chez l’autre, et le fait que dans la modernisation, fondamentalement l’occidentalisation, il existe un abandon d’une partie de soi-même. Dans l’album, Amadou et Mariam chantent tour à tour, les paroles une mélange de français et bambara. Ce mélange marque l’influence de l’Europe, l’occidentalisation, dans la vie des africains. Pour Amadou et Mariam, leur grand succès vient après la sortie de leurs chansons à la radio française. Donc leur succès à travers la musique est un beau récit, en particulier étant donné qu’ils sont aveugles. Ils ne pouvaient pas facilement émigrer en Europe avec leur handicap, donc ils cherchent une vie meilleure à travers leurs talents musicaux.
Dans le livre à ce stade de la nuit de Maylis de Kerangal, la narratrice écoute la radio dans sa cuisine en France, pas pour écouter la musique mais pour les émissions sur les tragédies en mer, les bateaux de migrants de Libye, Erythrée, Somalie, Malte, Tunisie qui font naufrage, les milliards de morts en mer. Elle écrit beaucoup sur la voix, les voix politiques, métalliques, plates, saturées de sentiments…les voix publics qui existent à la radio, contrairement aux voix des clandestins qui représentent les identités invisibles, hors la loi, « traître ». Amadou & Mariam mettent en lumière ces voix cachées à travers leur musique honnête, une musique réparatrice qui fait un lien entre deux mondes dans sa forme et sa contenue, une mélange des langues et des styles de musique. de Kerangal écrit un passage percutant sur la tradition orale, le chant et les songlines indigènes qui peuvent composer « une représentation quasi intégrale de l’espace » (p. 45). Elle décrit qu’appartenir au clan, « c’est chanter son paysage », un beau métaphore qui fait le lien entre territoire et identité. De plus, « ce maillage choral déployé sur tous les continents » est une façon d’instaurer « des identités mouvantes…un rapport au monde conçu non plus en termes de possession mais en termes de mouvement, de déplacement, de trajectoire…en termes d’expérience…ce chant du monde » (p. 45-46).
Je comprends la musique d’Amadou & Mariam comme appartenant à ce chant du monde, comme une voie pour les voix du « Sud », les identités du bled, du « monde développant », à resurgir dans l’espace et dans le temps et réclamer la recognition qu’elles méritent, soit comme émigrants, immigrants, ou migrants – un rapport au monde en termes de mouvement.