La subversion d'un mur
L’objectif déclaré d’un mur est d'empêcher les gens de passer une frontière, mais partout où l’on construit un mur, de Berlin à San Diego, il y aura des gens qui essayent de les surmonter. Ces dernières années cette drame particulière a lieu chaque jour et chaque nuit à la barrière érigée par l’espagne sur sa frontière avec le Maroc aux enclaves de Melilla et Ceuta. Pendant une seule journée en Janvier 2017 par exemple environ 1000 migrants africains ont tenté de surmonter cette barrière sans succès sauf deux qui ont gagné l’espagne grièvement blessés, comme on peut voir dans le premier objet, une vidéo tournée par une équipe de télévision locale à Ceuta.
Le deuxième objet nous montre de quoi il s’agit cette barrière. Commençant du côté marocaine il y a d’abord des radars capable de détecter quelqu’un à 2 kilomètres, trois rangées des piquets, puis une première clôture avec des diffuseurs de gaz lacrymogène, puis une deuxième clôture armée des projecteurs, puis des patrouilles, et enfin des tours de guet. L’espace entre la portée des radars et les tours de guet est certainement un des « états d’exception » définis par le philosophe Giorgio Agamben comme des zones où aucune loi ne s’applique où elles sont suspendues en permanence. Cette zone construite par le gouvernement espagnol est l’extrême d’un état d’exception vu que la vie humaine est interdite dans cette zone. La bande de la frontière est probablement le lieu le plus surveillé, filmé et documenté dans toute l’Europe, il n’y a aucun droit à la vie privée. Si quelqu’un se blesse dans cette zone, même à cause des dispositifs montés par l’état, ils n’ont pas droit à l’aide ni aux recours en justice. On y est en dehors de la loi.
En outre, la barrière et la bande frontalière soulèvent deux concepts de Michel Foucault, le panoptisme et la hétérotopie. Le panoptisme est un système de contrôle dans lequel beaucoup des individus sont surveillés de loin par un seul gardien anonyme. Le fait que ce gardien soit anonyme est un « Dispositif important, selon Foucault, car il automatise et désindividualise le pouvoir… Il y a une machinerie qui assure la dissymétrie, le déséquilibre, la différence. Peu importe, par conséquent, qui exerce le pouvoir. Un individu quelconque, presque pris au hasard, peut faire fonctionner la machine » [1]. Donc on peut qualifier cette zone frontière comme un lieu où l’état est quasiment tout puissant et anonyme. En plus, on peut interpréter la frontière fortifiée comme une « hétérotopie. » Elle est une espace à part et une espace qui « juxtapos[e] en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont eux-mêmes incompatibles » [2]. Sur une frontière, on est à la fois dans deux pays ou l’on n’est dans l’un ni l’autre. Entre les clôtures de Ceuta et Melilla on est aussi coupé du temps, rien n’y change pas et ceux qui tentent la traversée s’engagent dans une tâche sisyphe comme montré par la vidéo. Un jeune homme parvient à surmonter la première clôture, mais dès qu’il arrive au sol un agent de sécurité est là, et quelques minutes plus tard un policier le fait passer à l’autre côté de barrière. Le migrant se retrouve où il avait commencé. Finalement, une frontière a une fonction et « un système d’ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables. » [3].
1. Foucault, Michel. Surveiller et punir: La naissance de la prison. Paris: Gallimard. 1975. Pp. 204-5.
2. Foucault, Michel. Dits et écrits 1984. “Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967).” Dans Architecture, Mouvement, Continuité, n. 5. Octobre 1984. Pp. 46-9.
3. Ibid.